Après seulement trois semaines de voyage sur les six prévus, la caravane qu’escortait Scrimaus avait déjà subit quatre attaques plus ou moins bien préparées. Après la ruse utilisée lors de la première, les éclaireurs avaient été redéployés par le chef des gardes Thül tout autour du convoi pour prévenir d’autres embuscades du même type. Deux fois, le mercenaire avait vu un cavalier revenir vers le convoi au triple galops en faisant de grands mouvements amples des bras pour attirer l’attention sur le groupe de bandits montés qui le poursuivaient. Les Thül avaient été efficace et avait comprit la leçon. Un petit détachement de guerrier quittait la caravane pour combattre l’ennemi le plus loin possible des chariots fragiles et peu maniable. Sur cette route et par les temps qui courent, une roue cassée signifiait être abandonné. Et donc la mort. Ou la ruine en premier puis la mort.
La dernière attaque était survenue la veille, un groupe d’hommes désœuvrés plus nombreux que les précédant avaient déferlé de leur droite pour essayer de submerger la ligne de garde positionné sur les flancs de la procession dans une vaste charge. Scrimaus était resté immobile le temps d’observer ces nouveaux ennemis. De loin et avec la surprise, le mercenaire n’avait vu que le nombre de cavaliers. Une soixantaine environs. Lorsqu’ils furent assez près pour distinguer les traits de leurs visages, le mercenaire remarqua avec son œil exercé les nombreux chevaux de traits qui avaient été sellé, les fourches entre les mains de certains cavaliers et surtout le manque de discipline du groupe. Avec le sourire blasé d’un homme qui sait qu’il va survivre en tuant de pauvres fermiers rendus fou par la famine et la guerre, Scrimaus lança son cheval au galop après s’être assuré de ne pas être le premier à arriver au contact. Rassuré par les Thül qui s’étaient regroupé et avait déjà lancé leur contre attaque, le mercenaire plaça son cheval en queue de leur formation et dégaina son épée, le bouclier déjà sanglé à son bras gauche. Le mercenaire s’attendait à ce que les gardes se déploient pour former une ligne infranchissable mais resta interdit lorsque les ordres ne vinrent pas. Quelques secondes plus tard, Les Thüls enfoncèrent le groupe de bandits comme s’ils étaient à pied, les fendants en deux groupes distincts séparés par un lit de cadavre équins et humains encore gémissants. Scrimaus n’avait même pas eu à lever son sabre. Les Thüls voltèrent dans un bel ensemble, visiblement répété, et chargèrent à nouveau pour rattraper les survivants avant que ceux-ci n’arrivent aux chariots. Scrimaus jura fort et longuement lorsqu’il fut obligé de faire également volter son cheval pour éviter d’être piétiné par ses alliés qui venaient droit sur lui. Mais il était maintenant devant les autres et faire ralentir son cheval maintenant serait trop risqué. Certes il survivrait aux bandits mais les Thül ne feraient qu’une bouchée de lui.
Le mercenaire se concentra en arrivant au contact, leva son sabre, prêt à l’abattre à tout instant. Scrimaus rattrapa le plus lent des bandits et poussa encore son cheval. Sa monture heurta le cheval de trait luisant de sueur qui répondit par une ruade tout en continuant à galoper pesamment. Le cavalier fut presque désarçonné mais s’accrocha de toute ses forces à la crinière et réussi à rester en selle. Scrimaus fit faire un petit bond de coté à son propre cheval et alla au contact. D’un revers, il para un coup d’épée longue qui lui laissa son bras armé engourdi. Son adversaire retenta sa chance mais le mercenaire se prépara et leva son bouclier en biais pour dévier la lame. La force désespérée mit dans ce dernier coup qui ne rencontra presque aucune résistance fit tomber le bandit de sa selle. Scrimaus ricana puis fit avancer son cheval sur lui. Il ne regarda surtout pas mais il entendit distinctement quelque chose d’osseux se briser sous les sabots. Reportant son regard autour de lui, il vit avec soulagement que les Thül l’avaient dépassé depuis longtemps et avaient attaqué par le flanc les bandits. Aucun ne s’était approché à moins de vingt mètres d’un chariot et au vue de la fin de la bataille, aucun n’y parviendrai jamais.
Avec le soir tombant, Scrimaus avait entendu parler le chef des gardes et le chef caravanier. Et ce qu’il avait entendu ne lui plaisait pas du tout. Vraiment. Pas. Du. Tout. Les différentes embuscades avaient couté la vie d’une dizaine de Thül et au moins cinq mercenaires sur la trentaine que l’escorte comprenait. Autrement dit, à la prochaine attaque d’envergure, ils se feraient déborder avec certitude. Le chef caravanier avait tout d’abord refusé de changer l’itinéraire sur lequel les marchands s’étaient entendu entre eux mais lorsqu’on lui rappela qu’il valait mieux vendre un peu moins cher plutôt que pas du tout, il finit par accepter de rejoindre la ville D’Al Chen le lendemain dans la journée pour essayer de recruter quelques gars du coins. La nuit avait été morose aucun chant Thül de guerre ne résonnait autour des feux. Tous appréhendaient la suite du voyage et beaucoup se demandait comment ils allaient pouvoir revenir dans la sécurité toute relative de la province d’Al Jeit. Scrimaus avait besoin de gagner le Nord de l’empire le plus vite possible et cet arrêt permettrait à celui qui le cherchait éventuellement de le retrouver plus vite. De plus, le mercenaire ne comptait pas rester caché, pas avec une bourse aussi rempli que la sienne et de nombreuses personnes pourraient reconnaitre un dessin de lui après son passage. Cet halte n’avait vraiment aucun point positif pour lui. Enfin sauf les femmes qui font profiter de quelques minutes de joie contre autant de pièce de cuivres. C’était même la raison principale qui empêchait le mercenaire de prendre son cheval et ses affaires avant de continuer tout droit vers le nord.
La caravane avait obliqué vers l’ouest en reprenant la route ce matin et tout le monde pouvait voir les murailles grises d’Al Chen à présent. L’air était plus humide à cause de l’immense Lac Chen qui était proche de la ville. La caravane finit par s’arrêter à une centaine de mètre de la grande porte de l’Est d’Al Chen. Le chef caravanier avait décidé de ne pas entrer dans la ville afin d’économiser l’octroie et le prix des nuitées lors de leurs arrêts dans la région. De plus, en restant à distance des lieux connu de consommation, l’ouverture d’un marché improvisé bénéficiera de l’attrait de la nouveauté et du mystère tout en économisant également les taxes appliquées sur tous les produits vendus en ville. Scrimaus avait attendu qu’on lui donne l’autorisation de faire un tour en ville une bonne partie de l’après midi puis quand les marchands furent enfin installés, le mercenaire enfourcha à nouveau son cheval pour se trouver une vraie chambre en ville.
Le mercenaire passa les grandes portes, légèrement décontenancé par la foule qui l’entourait. Après trois semaines à côtoyer les mêmes personnes, Scrimaus avait presque perdu l’habitude de la ville. Ne voulant pas chercher plus longtemps que nécessaire, il s’arrêta devant la première auberge qu’il trouva. Rapidement, il fourra les rênes de son cheval dans les mains du palefrenier avec une pièce de cuivre puis poussa la porte. La nuit était encore loin et ce fut une serveuse surprise qui s’approcha de lui. Elle l’inspecta de la tête au pied et retint à peine une grimace. Le mercenaire grogna, sortit une pièce d’or de sa bourse et la posa sur la table. Immédiatement, la serveuse se rapprocha, afficha un sourire avenant et demanda d’une voix d’ange :
- Monsieur souhaite quelque chose à boire ?
- Oui mais surtout à manger, si le repas me convient, je prendrais une chambre pour la nuit.
- Très bien. Un bœuf est en train de rôtir et les patates cuisent, le repas sera servi dans une heure mais pour patienter nous avons de la bière, du vin et un alcool fort distillé directement dans la cave de l’établissement, que préférez-vous ?
- Une chope de bière tout de suite puis une autre quand vous apporterez mon assiette.
- Très bien monsieur, je reviens tout de suite.
La jeune femme se détourna pour retourner derrière le bar de l’auberge laissant le mercenaire seul dans cette grande pièce vide. Scrimaus souffla longuement par le nez puis tourna la tête pour regarder dehors à travers la fenêtre juste sur sa droite. Une grande lassitude l’envahit lorsque ses muscles maltraité pendant ce voyage se rappelèrent à ses bonnes grâces. Perdu dans ses pensées et ses vieux souvenirs, Scrimaus ne vit pas le temps passer, buvant à petite gorgée la bière amère et un peu éventée qu’on lui avait apportée plus tôt. Le claquement de l’écuelle en bois sur la table le fit sursauter. En relevant les yeux, il s’aperçu qu’un jeune homme lui remplissait sa chope de bière en jetant de petits coups d’œil sur la droite. En voulant voir ce qui intriguait le juene homme, le mercenaire regarda autour de lui et trouva une jeune femme au regard un peu hallucinée. Il prit également conscience que la salle s’était peu à peu remplie, le mercenaire n’était plus qu’un client parmi tant d’autres. Je suis vieux, il n’aurait jamais du pouvoir s’approcher autant sans que je le vois. J’ai mal partout alors qu’il y a dix ans j’aurais encore pu chevaucher trois mois avant de sentir la moindre courbature. Qu’est-ce qui va bien m’arriver maintenant que tout se calme enfin ?